CÉLINE
ET LES AUTEURS (S à
Z)
*
Maurice SACHS
(né Maurice
ETTINGHAUSEN, écrivain aux multiples attitudes
1906-1945): " Je crois que ce malheureux a surtout
souffert que ni Gide ni Cocteau n'aient pu lui faire
d'enfants ! Il ne s'en console pas sur 500 pages. Ce
sont de tels abîmes psychologiques qui fascinent les
véritables lettrés ! Or ça cet androgyne a certainement
bien du talent - un talent imitatif, du légume cuit et
froid : réticent, imprévisible, sinueux, huileux, lissé,
capricieux comme une croupe en coït. Mais en cela, du
Proust, du J.J. Rousseau, du Gide bien sûr, du Cocteau,
de tout ce qu'il a désiré au sens sexuel du
terme.
Il fait un monde
des engouements, repentirs,
finesses de son derrière, comme une femme. Il ne sort
pas de son derrière. Tout cela finit par ressembler à du
Colette. Mais Colette a un petit côté mâle bien agréable
- Mais tout de même ce SACHS n'est nullement
négligeable. C'est un auteur pour " Ambassades ". Vous
pouvez le recommander. Il écrit ce qu'on appelle bien - Français 1/2
Berlitz - 1/2 Anatole France. "
(A
Thorvald Mikkelsen, 17 déc. 1948, Lettres Pléiade, 2009).
*
Françoise SAGAN
(de son vrai nom Françoise Quoirez,
écrivaine, 1935-2004) : " Mlle SAGAN
nous raconte les velléités de coucheries de petits
jeunes gens d'un monde incertain. Son
intrigue n'a même pas le relief d'un beau fait divers,
c'est une petite histoire comme il
s'en
passe sous les toits de Paris, mais même la concierge ne
s'y intéresse pas. C'est un roman fait de la petite
sueur de passion d'une Colette maigrichonne et qui n'a
qu'un mérite: la clarté.
La
formule en est simple : 1/2 Guy, 1/4 Dekobra, 1/4
Proust, le tout saupoudré de vagues paillettes de
philosophie, du genre: " La vie commence par un cri et
ce ne sont plus ensuite que des suites de cris. " M. de
La Bruyère avait beaucoup mieux dit cela, lorsqu'il
écrivait : " L'homme ne se sent pas naître, il souffre
pour mourir, et il attend de vivre... " Mais Mlle
SAGAN ne peut pas perdre son temps à conduire des
voitures et bien tenir un stylo. "
(Réponse à une
enquête de Arts: " Paris juge SAGAN ", cahiers Céline 2,
Gallimard 1982).
* " C'est un grand écrivain, il me semble...
? Une force. Une voix en colère. Le Voyage ?
Admirable. Mais quand même, je n'éprouve pour lui nulle
passion, d'ailleurs, il ne pouvait plus guère " écrire
", il ne savait désormais que remâcher des rancœurs. Ce
n'est ni un exemple, ni un maître. Céline, c'est un
verre d'eau froide en pleine figure. Voilà. "
(Nouveau Candide, 6 juillet 1961).
*
Alexis SALATKO (auteur de plusieurs ouvrages, romans et biographies
romancées) : " Durant son séjour à Draveil, le vieux Max va alors
raconter à ce jeune qui pourrait être son fils disparu le Paris
célinien, tout en se rechargeant régulièrement en
carburant anisé. C'est donc entre Ginette et ses séances de spiritisme et
les récits de Max que le jeune homme se met à dévorer Céline, en
commençant par le Voyage au bout de la nuit. " Céline, homme
raffiné, écrivait des choses qui ne l'étaient pas. Marcel Aymé était
plus populo, mais quelle finesse d'esprit ! En vérité il n'y avait pas
plus différents que ces deux -là. Ils formaient un duo à la Laurel et
Hardy, et comme Stan et Olivier, ils sont quasi inséparables jusqu'au
terminus du voyage. "
" - ne dit pas de sottises. Céline n'était pas le
genre d'oiseau qu'on attrape en lui versant du sel sur
la queue. Du sel ou du gasoil. Tu sais, avant les nazis,
des gens de tous bords l'avaient approché, flatté,
évalué, pour finir par le condamner. Hitler a fait
interdire ses œuvres en Allemagne et Staline, dont le
Voyage fut paraît-il le livre de chevet, s'en est
très vite détourné. Il n'empêche qu'il détestait Hitler
et qu'il n'était pas question de lui emboîter le pas de
l'oie... Il a très vite revu son jugement sur les Boches
dont il espérait tant. Il a pris ses distances dès qu'il
s'est aperçu qu'il s'agissait d'un régime de voleurs et
d'assassins. "
(Céline's band, Spécial Céline n°3, nov.-déc. 2011-janv. 2012).
*
George SAND (pseudonyme d'Amantine, Aurore, Lucie
DUPIN, romancière, écrivain 1804-1876) : " (...)
George SAND,
dans
ses souvenirs, raconte qu'elle a vu des gens d'Ancien
Régime... Vous avez lu ?... Elle raconte... Elle dit :
j'ai vu la jeunesse dorée qui faisait horreur. Parce que
elle, elle était jeune fille, et elle voyait ces gens
d'Ancien Régime, y z'avaient des manières à eux
qu'étaient tellement spéciales qu'elle les voyait comme
des vieux tableaux, pleins de grimaces.. y n'pouvaient
rien faire...
Quand y
s'offraient une chaise, c'était toute une frimace...
(...) Y mettaient leur perruque dans leur gilet, puis
enfin, ils faisaient tout un tas de trucs extravagants
de procédure qui la remplissaient d'horreur, parce
qu'elle allait au devant de la vie, n'est-ce-pas... "
(Interview Jean Guenot, Jacques d'Arribehaude, 6 février 1960, Cahiers
L'Herne, biblio, poche, 1963, 1965,1972).
*
SAINT-LOUP (de son vrai nom marc AUGIER, romancier,
journaliste 1908-1990) : " Fournir un témoignage sur le
comportement intellectuel de Louis-Ferdinand Céline
lorsque j'ai fait sa connaissance en 1940... Je venais
de fonder l'hebdomadaire La Gerbe avec Alphonse
de Châteaubriant ; Madame et André Castelot et M.
Mulhausen. En vue de la rédaction du troisième numéro,
en septembre je crois, M. de Châteaubriant, qui était à
ce moment-là mon Maître et ami, me dit : - " Vous
devriez aller demander à Céline un article pour la une
du journal, traitant de la question juive en général et
de la situation actuelle des Juifs en particulier. " Je
me rendis chez Céline qui habitait alors la banlieue
nord, dans une rue que je ne saurais situer aujourd'hui.
Il me reçut avec bienveillance et sa familiarité des
grands jours. En réponse à ma demande, il déclara (et je
me souviens très exactement de ses paroles) : - " Mon
p'tit gars... mon p'tit gars... j'ai craché sur les
youpins quand ils pouvaient me répondre. Maintenant, ils
sont vaincus, j'crache pas sur les vaincus. T'auras pas
d'article ! "
(témoignage du 7 mars 1980, pour la Revue célinienne de Marc Laudelout
dans L'Année Céline 1995).
*
Maurice-Yvan SICARD dit
SAINT-PAULIEN (écrivain, journaliste, 1910-2000):
" Les romans-pamphlets de Céline influencèrent
considérablement ses adversaires. Aucun
écrivain
n'a été plus imité et plus jalousé que lui. On le volait
et on le haïssait. Lorsque parurent le Voyage, Mort à
crédit, Bagatelles pour un massacre, les
littératures naturaliste, psychologique, surréaliste
étaient à bout de souffle. L'argot des tranchées, ayant
assuré le succès de romans bien oubliés, avait perdu
tout piment. Céline compris qu'il lui fallait inventer
un procédé neuf : il fit du Proust à l'envers. Il adopta
un langage conventionnel, haletant, obstinément
ordurier, à l'image de l'époque qu'il désirait peindre ;
et nous vîmes bientôt surgir le flot écumant d'immenses
égouts débondés sous la lune.
Le style de Céline était un manifeste :
son génie lui eût permis de " faire " du Claudel ou du
Giraudoux. A la fin, il fut victime du vertige des mots
et des prophéties criées dans le désert. La plupart de
ses livres constituent des témoignages révolutionnaires
d'une force de pénétration que Balzac, Dostoïevski,
Jules Vallès et Léon Bloy avaient rarement pu atteindre.
"
(B.C. n° 232, juin 2002).
* George SANTAYANA
(philosophe, poète, critique littéraire américain
1863-1952): " Grand Hôtel, Rome, / Le 2 mai 1941. /
... Pour la lecture, les ressources sont assez
limitées... Je peux me procurer tous les
classiques latins-italiens, et le Prof. Guzzi en
particulier m'a envoyé deux bons ouvrages de lui, sur
Giordano Bruno et sur Saint Augustin. Mais je suis dans
l'ignorance de ce qui s'écrit en ce moment.
Par exemple, je ne trouve
pas le nouveau livre de Céline. Les Beaux Draps,
non parce que c'est un livre antisémite mais parce
qu'aucun livre n'est importé de France actuellement et
je n'ai personne à Paris pour me l'envoyer
personnellement... Céline m'enthousiasme, non par son
antisémitisme, mais par sa langue rabelaisienne. Si vous
pouviez m'envoyer Les Beaux Draps, ou tout livre
qu'il a pu publier entre celui-ci et L'Ecole des
Cadavres, je serais très heureux de l'avoir... "
(Extrait d'une lettre envoyée à Daniel Cory, L'Herne n°5, 1965).
* Nathalie SARRAUTE:
(née Tcherniack, écrivain, 1900-1999) " J'ai voulu
renouveler le langage comme l'avait fait Céline avec
Voyage au bout de la nuit.
(Elle, Levallois-Perret, 16
décembre 1996).
* " Il y
avait dans Voyage au bout de la nuit beaucoup de
tendresse et d'humanité (...) Céline était alors
antiraciste. "
(Arts, 22 décembre 1965).
*
Jean-Paul SARTRE
(écrivain, philosophe,
romancier, dramaturge, 1905-1980) : " Un polichinelle à
parchemins, tout exultant de se voir d'un seul coup, par
le miracle de
l'Epuration,
si grand homme ! "
* " SARTRE est un vilain petit merle. Il
m'aurait fait des pompiers, avalé le foutre pour que je
consente à aller me montrer à ses pièces sous la
botte... Il me faisait relancer par Dullin, Denoël, etc.
Encore une fois je n'avais pas le temps. Je crois la
petite ordure qu'il m'a même dédié un de ses livres,
autrefois... Ce petit Jacques n'est d'ailleurs pas doué,
c'est un petit raté de tout, et il le restera. Kif
Miller.
Ces
gens-là n'ont pas de songe. Ils se forcent, ils se
branlent à blanc, et dans le vide. Ils prennent
l'extravagance et le saugrenu pour du fantastique, la
crudité pour du caractère - ce n'est pas si facile.
Quant à l'existentialisme il l'a volé à un vieux
philosophe nazi (une fois ceux-ci sans réplique)
comme il est devenu philosémite après le départ des
allemands. "
(Lettres 2009, à Robert Massin le 28 nov.1947).
*
SARTRE
fait un hommage à Céline dans la dédicace de La
Nausée. Que savez-vous de ce qui a ensuite séparé
les deux hommes ?
Oui, dans la dédicace SARTRE cite une phrase de
Céline qui figure dans L'Eglise : " C'était un
garçon sans importance collective, tout juste un
individu ". D'ailleurs, au
début,
SARTRE admirait beaucoup Céline ; je n'ai jamais
rien compris à un revirement si complet de sa part.
Céline en fut très touché...
- Et
Marcel AYME
?
- Ah, Marcel a été admirable ; il a été d'une patience
et d'un dévouement extraordinaires... D'ailleurs, dans
une petite étude qu'il a faite sur Céline (cf : Les
cahiers de L'Herne), Marcel dit toute la vérité. Il
a parlé du vrai Céline et tout a été dit.
(Magazine Littéraire n°26, février 1969. Entretiens avec
Lucette Destouches).
*
René SCHWOB
(écrivain juif converti au christianisme,
1904-1995): " Si je vous écris enfin, après avoir laissé
tant de
jours passer sans vous
faire connaître
l'impression profonde que j'ai ressentie
à vous lire, c'est que je tenais à savoir si cette
impression durerait aussi vive qu'aux premiers jours.
Elle dure
si bien qu'il me semble
impossible
d'écrire à présent comme on écrivait avant votre livre.
Cette mise à jour d'un univers si sombre, cette
fabuleuse révélation de la nuit où se débattent et
grouillent tous ceux qui sont aux prises avec la misère
quotidienne, non seulement nous fait honte de ne pas
nous occuper davantage de cette misère-là, mais nous
transforme au point de nous dépayser de nous-mêmes et de
nous donner le dégoût de tout confort, si mince qu'il
soit. C'est pour cela que je tenais à vous remercier : vous
êtes un des très rares qui nous
interdisent la tranquillité.
J'ajoute aussi qu'après avoir eu
l'impression que
vous haïssiez tous les êtres, je me suis aperçu que ce
dont vouliez au contraire - tant
est grand votre amour des êtres, c'est
qu'il ne soit pas plus grand encore ; et qu'il reste
impuissant à sauver ceux dont vous connaissez pourtant
toutes les tares. Cette impossibilité d'être utile à qui que ce soit, telle est une des
plus grandes leçons de votre livre, et qui pousse au
délire notre dégoût de nous-mêmes. Il faut, je crois, que vous ayez beaucoup
souffert pour être capable de nous convoquer, sans en
parler, à un si grand amour. "
(Lettre
ouverte à L.F. Céline, Esprit, 1er mars 1933, 70
critiques de Voyage... Imec Ed. 1993).
*
Eric SEEBOLD (enseignant, auteur de Essai de
situation des pamphlets de LFC et Trébuchet pour un
centenaire): " Céline a été un écrivain maudit juste
assez longtemps. Maintenant on exhume petit à petit et
on fait des ronds. Si un éditeur avait deux sous
d'honnêteté, il rééditerait les quatre livres interdits
de Céline (Mea culpa, Bagatelles pour un massacre,
L'Ecole des cadavres, Les Beaux draps), et chacun
pourrait se faire une idée exacte de Céline.
Au lieu de ça, on laisse
ces livres dans l'ombre et on fait baver le lecteur en
en parlant dans des livres critiques. Remarquez, on
comprend les éditeurs. Si Céline n'était pas encore un
petit peu maudit, leurs bouquins critiques, ils
pourraient se les foutre dans le cul. Alors, commerce
oblige ; comme d'habitude. Puanteur et froissement de
papier monnaie. "
(Fiels, 1993).
* Will SELF
(romancier, auteur de nouvelles fantastiques et
journaliste anglais) : " ... Céline que j'ai lu à un âge
très formateur, est aussi une grande influence. L'humour
noir du Voyage au bout de la nuit
ou de Mort à crédit
m'a autant marqué que celui de London fields. "
(Les Inrockuptibles, avril 1996, BC n°165, juin 1996).
*
Paul SÉRANT (nom de plume Paul Salleron, écrivain et
journaliste, 1922-2002) : " Paul SÉRANT imagine
que, dans l'entre-deux guerres, le monde de l'édition,
au lieu d'être ce qu'il était alors, ait déjà été ce
qu'il est devenu. " Et d'imaginer à la suite l'accueil
qui eût été réservé à Voyage au bout de la nuit
par un directeur embêté :
Bien sûr, cher docteur Destouches, vous êtes de
gauche (?), et c'est bien votre droit. Mais il manque
quelque chose d'essentiel à votre bouquin, que je trouve
formidable par ailleurs : il manque un message. On ne
trouve pas, dans votre récit, la moindre lueur
d'espérance. Or c'est de cela que le public de gauche a
besoin plus que jamais. Tel qu'il est, votre livre va
exaspérer les bourgeois, et décevoir profondément le
public populaire. Le nihilisme, c'est passé de mode. Ne
pourriez-vous pas reprendre certains passages et leur
donner ce qui leur manque ? A mon avis, tel quel, c'est
impubliable. "
( Le
Français, 13 avril 1995, dans BC n° 153).
* William
SHAKESPEARE
(poète et
dramaturge anglais, 1564-1616) : " Lui, est le modèle
suprême... Quand vous avez à la fois le tragique et le
rire, vous avez gagné (...) quand on passe de la
clownerie au tragique avec vraiment de la vérité en même
temps, c'est vraiment, oui, c'est plus complet, ça tient
mieux, ça tient mieux le coup et le temps. "
(Céline à Meudon, op. cit. p.32).
*
Georges SIMENON
(écrivain, romancier
belge francophone 1903-1989) : " SIMENON est,
comme on sait, un des rares écrivains contemporains
loués par Céline dans Bagatelles pour un massacre
: - " J'ai quelques confrères admirables, je ne les cite
pas tous, je ne veux pas leur faire du tort. Tenez
SIMENON
des " Pitard " on devrait en parler tous les
jours ! "
(BC n°232 juin 2002).
*
Claude SIMON
(écrivain, prix Nobel de littérature en 1985) : " Céline
? Je le place très haut. Et je l'ai dit depuis
longtemps. Il y a plus de vingt ans, la télévision
sarroise est venue à Paris. Ils ne trouvaient personne
pour parler de Céline. J'ai dit : " Mais oui... " Il n'y
a que moi qui en ai parlé. Proust et Céline ce sont les
deux grands écrivains français de la première moitié du
XXe siècle. Je me souviens qu'on me disait de Céline que
c'était un salaud. J'ai dit : " Un salaud ? En art, ça
ne veut rien dire, salaud. "
Pourquoi
est-ce si extraordinaire ? Parce que c'est très bien
écrit. Parce qu'il y a une musique, parce qu'il y a une
cadence. Voilà ! C'est tout. "
(Le monde des Livres, 19 septembre 1997).
* Pierre-Henri SIMON
(intellectuel engagé, romancier, critique
littéraire 1903-1972) : " Il ne faudrait sans doute pas
exagérer cette spiritualité de Céline, sur qui le
charnel et l'érotique exercent un attrait fort. Mais enfin,
j'approuve M. Hanrez d'avoir écrit : " A ne regarder en
lui que le contempteur obscène et verveux, on risque de
ne pas remarquer le secteur aristocratique de sa
personnalité. " Il y a, en effet, chez Céline, un goût
de la beauté, de la santé, de l'ordre même que le
charriage de l'injure et de l'ordure, plus visible
d'abord dans son style, ne doit pas éclipser : et
peut-être cette violence et cette noirceur de
l'imagination ne sont-elles que la protestation d'une
pureté blessée et dégoûtée.
" Ma
fureur n'est que l'effervescence de ma pitié. " : ce
n'est pas Céline qui l'a dit, mais Léon Bloy. La
distance spirituelle est grande entre le crieur
désespéré d'un Dieu en croix et l'athée qui hurle sous
le ciel vide. Une parenté demeure, cependant, au plan de
l'art comme à celui de l'âme, entre ces deux
réfractaires éloquemment frénétiques. Bloy attendait "
les Cosaques et le Saint-Esprit " ; Céline ne sait pas
ce qu'il attend ; mais la flamme de son regard n'était
point satanique ; elle ne brûlait pas pour le néant, ni
pour la révolte de l'orgueil, ni pour le péché contre
l'espérance. Ce qui est au bout de la nuit, même si les
tempêtes en offusquent ou en retardent la clarté, doit
encore s'appeler l'aurore. "
(L'aurore est au bout de la nuit, L'Herne n°3, 1963).
* Willy de SPENS
(homme de lettres, 1911-1989) : " Olaf,
le libraire danois de Mont-de-Marsan / Olaf admirait
Hitler, vainqueur certain, pensait-il naguère, vaincu
possible, pensait-il aujourd'hui. (...) Je revis, une
dernière fois, Olaf, environ
deux semaines plus tard. Beaucoup moins flambant, très
énervé, il avait hâte de déguerpir. Il eut un mot
désabusé : " Hitler, quel conne ! " Son grand homme il
le voyait enfin jeté à bas de son piédestal. A la
différence de tant de fanatiques, Olaf retira son estime
à Hitler quand il le vit vaincu. Ce n'était pas lâcheté
ou opportunisme, mais dégoût. Pour que l'armée
allemande, qui avait fait figure d'invincible, en fût
réduite à décamper, fallait-il qu'Hitler en commît des
fautes ! Comme Napoléon, son frère en mégalomanie, il
n'en rata aucune. Maintenant Olaf sentait la terre de
France lui brûler sous les pieds, il n'aspirait qu'à
filer dare-dare vers son pays natal et il pestait contre
sa femme qui s'obstinait à tenir boutique : jamais les
livres ne s'étaient mieux vendus, le chiffre d'affaire
quotidien atteignait des sommes fabuleuses.
Cela doit donner à rêver : en
ces derniers jours de l'Occupation, les Montois vivaient
de lecture. La raison conseillait à la libraire et de
déguerpir et de remplir sa caisse. Quand je reviendrai
la voir, peu de jours avant la Libération, le magasin
sera fermé. Je passe dans la cour, sonne ou frappe à une
porte de service, un individu rébarbatif se présente :
le ménage et leurs enfants sont partis, me dit-il, très
froid, la librairie a changé de propriétaire.
J'apprendrai qu'Olaf et les siens ont réussi à quitter
la France au dernier quart d'heure, après avoir vendu
leur fonds.
La femme d'Olaf deviendra à Copenhague, la " chère et géniale libraire "
chez qui Céline se ravitaillait en bouquins.
(La loi des vainqueurs, La Table ronde, 1986, BC n°325).
* Georges STEINER
: (critique littéraire,
linguiste, écrivain, philosophe
franco-américano-britannique, 1929-2020) : " Il n'y a
rien à faire. La grande littérature est souvent de
droite. Et je
continue
de préférer Céline à Aragon. "
(Le Monde, 24 septembre 1998).
* " (...)
S'il existe un enfer, je crois que dans l'enfer où doit
se trouver aujourd'hui Céline, il y a pour lui un tout
petit moment d'air conditionné. L'espèce de courage de
son mal était transcendant et lui permettait tout. Vous
connaissez cette page, tirée de D'un château l'autre
où, à Sigmaringen, Pétain traverse le pont devant toute
sa cour et, étant très sourd, n'entend pas l'approche
d'un avion anglais qui va mitrailler.
Tout le monde essaie de se
cacher, mais personne n'ose vraiment, parce que lui,
Pétain, maréchal de France, marche très raide : c'est,
je le regrette, une page shakespearienne. "
(Entretien au Monde de l'éducation, déc. 1999).
*
STENDHAL
(né Marie-Henri BEYLE, écrivain de
la première moitié du XIXe siècle 1783-1842) :
" Après tout,
STENDHAL,
c'est pas grand-chose, pour dire la vérité... On l'a monté
maintenant en épingle jusqu'à la gauche... Vous savez, le
type qui lit, comme
STENDHAL,
un chapitre du code civil avant de se mettre à écrire, eh
bien, c'est pas la peine... Y transpose pas du tout, vous
comprenez... Je crois qu'il ne transpose pas... Ah ! non,
mon vieux, il est au niveau du bon journalisme,
n'est-ce-pas, pas beaucoup plus...
Non, je ne vois
pas du tout ce qu'il y a là... Il y a là-dedans des
pisse-froid qui, évidemment, se retrouvent dans
STENDHAL,
pourquoi pas ?... Mais c'est bien méticuleux,
n'est-ce-pas, ça... C'est pas loin de Mérimée, mon
vieux, tout ça... "
(Interview
de Jean Guenot et Jacques Darribehaude, 6 fév. 1960).
* Daniel
STILINOVIC
(écrivain, substitut de procureur) : "
Il est l'un des auteurs qui m'a le plus profondément
marqué. Et Proust aussi : pour moi, ce sont les deux
plus grands écrivains français. Et c'est curieux parce
que humainement, ils sont l'un et l'autre
infréquentables ; Céline était égocentrique,
caractériel, et je ne parle pas de
son antisémitisme de pacotille, qui je crois est
beaucoup plus littéraire que réel mais n'empêche :
écrire toutes les conneries qu'il a écrites sur les
juifs pendant la guerre il fallait vraiment être
irresponsable ! Quant à Proust, cette petite chochotte
qui se faisait enfiler par ses copines, cet enfant
gâté... il ne devait pas être très fréquentable non
plus. Moi, j'essaie de rester fréquentable... c'est se
donner beaucoup d'importance que de chercher à jouer les
divas !
(...) La
guerre de 14, dans
Voyage au bout de la nuit, ne tient qu'en
quelques pages mais je crois qu'après avoir lu ce roman,
on ne peut pas penser à cette guerre sans avoir à
l'esprit Bardamu et Robinson... Mais parfaitement ! Ce
que Céline a écrit sur la guerre de 14 compte parmi les
plus belles pages romanesques consacrées à cette période
! (...) J'essaye d'écrire comme on parle. En sachant
bien que l'écrit, ce n'est jamais de l'imitation : pour
donner l'illusion du langage parlé il faut fournir un
putain de travail d'écriture, et ça relève vraiment de
la littérature ! Si vous transcrivez simplement l'oral,
à l'arrivée vous avez un truc plat, minable. Par
exemple, il n'y a pas plus travaillé que la langue de
Céline, alors qu'on a l'impression que c'est de la
langue parlée. Mais
chaque mot, chaque virgule sont pesés ; c'est un travailleur acharné.
Moi c'est pareil... "
(On sera rentrés pour les vendanges,
Ed. P.G. de Roux, 2012,
Extrait, Le Petit Célinien, 22 déc. 2012).
* Régis TETTAMANZI
(maître de conférences en littérature française du XXe
siècle) : " Le malentendu n'est sans doute nulle part
aussi permanent, sur ce point, qu'en ce qui concerne les
titres des deux premiers pamphlets. Pour la plupart des
lecteurs de l'époque, comme pour ceux d'aujourd'hui,
Bagatelles pour un massacre
est un appel au pogrom, à tuer les juifs ; quant aux
cadavres de L'Ecole, ils ne peuvent être que ceux
des juifs. Or, une lecture, même cursive, de ces textes,
montre à l'évidence qu'il ne s'agit pas de cela : le
massacre en question est celui des Français dans la
guerre à venir ; conflit en vue duquel ces mêmes
Français, futurs cadavres, sont endoctrinés, formatés,
éduqués - bien entendu par les juifs, les francs-maçons,
les politiciens, etc.
Et de
fait, la lecture à contresens de ces titres ne doit pas
être interprétée de la même façon à l'époque et
aujourd'hui. En 1937-38, on répond à Céline sur le mode
pamphlétaire, en le prenant au pied de la lettre, avec
les déformations qu'autorise, précisément, une parole
polémique " à chaud ". De nos jours, il s'agit de tout
autre chose, en l'occurrence d'une lecture rétroactive
de ces titres, puisque nous savons, nous, qu'il y a bien
eu massacre des juifs entre 1940 et 1945. Mais ce savoir
ne doit pas conduire à une interprétation faussée des
titres dont nous parlons ici, et dont la visée est bel
et bien pacifiste, à ce moment précis. "
(Esthétique de l'outrance, Idéologie et stylistique dans les
pamphlets de L.F. Céline, vol.1, Du Lérot éd.)
* André THERIVE
(écrivain, romancier, journaliste 1891-1967): " Le livre
de M. Louis-Ferdinand Céline couvre également six
cents pages ; tant de grossièretés et d'obscénités le
déparent qu'on ne peut en parler qu'avec précaution.
Imaginez une espèce d'autobiographie frénétique et
truculente, qui tour à tour évoque M. Blaise Cendrars,
M. Aragon ou Laurent Tailhade. Le talent de l'auteur est
incontestable ; son imitation de la langue parlée brille
par un naturel et une fécondité rares. Les premiers
chapitres, quoique d'une violence si continue que les
effets s'y perdent, ont de la tenue.
Le ton dégénère ensuite, et la
littérature envahit peu à peu le style. Le héros,
d'abord à la guerre, puis étudiant puis colonial, enfin
médecin de banlieue, semble voir l'existence à travers
d'étranges lunettes. Il est doué pour la satire. Mais il
trouve moyen d'être bien fastidieux à force de verve, et
bien gris à force de couleur... "
(Le Temps, 24 nov.1932, 70 critiques de Voyage... Imec Ed.1993).
* Albert THIBAUDET
(critique littéraire très apprécié
de l'entre-deux-guerres, 1874-1936) : " Maître, / Je ne
lis jamais d'articles parce que tout aimables ou
cinglants qu'ils puissent être ils ne traitent pour
ainsi dire jamais du livre en lui-même
mais de cent petits potins qui font plaisir, soulagent,
signalent, situent, dégagent, affirment leur auteur et
celui-ci seulement. Tous ces censeurs ont une peur
bavarde de se risquer à la critique de la chose en soi.
Il est tellement plus facile de garder ses distances...
Il en va tout autrement avec
votre article de La Dépêche de Toulouse. Il ne me
semble pas que vous alliez encore au fond des choses
mais déjà vous me faites le grand honneur de vous
intéresser à autre chose qu'à ma valeur morale, à la
couleur de mon patriotisme et à l'insuffisance de mes
sentiments filiaux. Une écœurante niaiserie, une
mièvrerie prétentieuse et passionnée tient lieu de toute
recherche. / Depuis Balzac, les critiques ne semblent
plus rien vouloir apprendre sur l'Homme. L'échelle est
tirée. L'énorme école freudienne est passée inaperçue.
Toute la haine raciale n'est qu'un truc à élections. Le
tourment esthétique n'est même pas murmurable. C'est une
délivrance, Monsieur, de vous avoir trouvé sur un chemin
que les esprits semblent déserter avec frénésie, celui
de la pensée libre. / Bien reconnaissant / L.-F. Céline.
"
(Fin janvier-début février 1933, Lettres Pléiade 2010).
* Gustave THIBON
(philosophe occidental, époque Moderne,
1903-2001) : " L'écrivain que je considère comme le plus
grand prosateur du siècle, c'est Céline. Avec
quelques réserves évidemment, en particulier sur ses
dernières œuvres, où il semble s'être un peu imité
lui-même. Mais le Voyage, Mort à crédit, et cet
étonnant
pamphlet écrit à son retour d'U.R.S.S., Mea culpa,
comptent nombre de pages prodigieuses. Là aussi, la
psychologie - quoique le mot soit impropre, et qu'il y
ait chez Céline davantage de vision que d'analyse -
confine sans cesse à la métaphysique.
C'est ce qui éclate d'un bout à
l'autre du
Voyage au bout de la nuit, qui est un pur chef
-d'œuvre. Simone Weil en avait inscrit une phrase en
tête d'un de ses cahiers : " La vérité, c'est une agonie
qui n'en finit pas. la vérité est du côté de la mort. Il
faut choisir, mourir ou mentir... Je n'ai jamais pu me
tuer, moi... " Encore une fois, et quelles que soient
ses outrances, ses extravagances, Céline me paraît être
définitivement le grand prosateur français du siècle. "
(Philippe Barthelet, La Place Royale, 1994).
* Henri THOMAS
(écrivain, romancier, traducteur
1912-1993): Et cramponné à l'existence, avec cela,
incapable de s'en aller avec le minimum de discrétion.
Il revient à Paris, il écrit, on le publie encore ! Il
écrit
D'un château l'autre. Quel livre embarrassant
pour nos grands Progressistes ! Où irions-nous, s'il
fallait reconnaître
que, par ce livre, Céline donne à notre littérature la
grande œuvre qui aurait dû, si le sens de l'Histoire et
l'esprit de création avaient, comme il se doit, partie
liée dans les lettres, surgir du bon côté, d'où nous
sont venus les Notre-Dame des Fleurs et le
Bloc -Notes
? Encore, si
D'un château l'autre était l'œuvre d'un suppôt
des plus meurtrières erreurs en tant qu'il est cet
homme-là, ce serait assez simple, il y aurait même là
quelque chose comme une recette connue : la conscience
dans le mal comme ressort du talent, mettant celui-ci à
la portée de tous les délinquants.
Il se peut bien que Céline ait regretté comme un chacun
ce qu'il trouvait de raté dans sa vie, qu'il ait souvent
même été aveuglé de colère et de souffrance, qu'il
vouait à des ennemis imaginaires. Mais ce sont là des
considérations que la lecture D'un château l'autre
balaie. Ce qui surgit, c'est le témoin, pris dans sa
vision, laquelle est trop grande, trop pleine, trop
active, pour ne pas apporter à la fois joie et
supplice à qui la crée. Plus de Bardamu, plus de " héros
" distinct de Céline et dans quelque mesure l'abritant.
Le génie de Céline brise la barrière qui sépare la
fiction de la réalité, le personnel de l'impersonnel. Il
en résulte qu'il n'a jamais été aussi présent que dans
cette œuvre impitoyablement objective. "
(A propos D'un château l'autre, Cahier de L'Herne,
Poche, Biblio, Essais, 1963-1965-1972).
* Michel TOURNIER
: (membre de l'Académie Goncourt). " Il faut savoir
distinguer entre les livres que l'on aime et les chefs-
d'œuvres indiscutables... que l'on peut ne pas aimer. Le
malheur veut que les deux romanciers français que je
reconnais comme les plus importants du XXe siècle ne
sont pas du tout ma tasse de thé, je veux dire Marcel
Proust et Louis-Ferdinand Céline. C'est qu'il y a deux
sortes d'œuvres, les œuvres de dérision et les œuvres de
célébration. Les premières grimacent et ricanent, et ça
peut donner d'immenses réussites comme les Mémoires de
Saint-Simon. Les secondes
chantent la beauté, la grandeur, le fantastique, et ça
donne Racine, Victor Hugo ou Paul Valéry. Or c'est cela
que j'aime et que je cherche à faire. Quant à Proust et
Céline, leurs romans sont géniaux bien sûr, mais ce ne
sont que des théâtres de fantôches tous plus grotesques
et répugnants les uns que les autres. "
(Le Journal du dimanche, 30 juillet 1995).
* René TRINTZIUS
(écrivain, guérisseur, romancier, auteur
dramatique 1898-1953) : " Quand on a des choses si
importantes à révéler, " la langue de Voltaire " ne
suffit plus. Le Dr Céline cherche la langue du Dr Céline
ou plutôt non, il ne la cherche pas. Du fond du peuple
un torrent boueux monte à son secours. Tous les mots
plus vrais que la vie laissés pour compte par les
stylistes - qui n'ont jamais su ce qu'était le style -
et qu'on avait respectueusement enterrés, toutes les
tournures où le peuple a jeté sa joie ou son agonie, le
tout mêlé de grammaire et de correction et de lettres
quand il le faut, car en définitive, pourquoi ces
grandes dames ne rendraient-elles pas quelques humbles
services ?
Je me demande quel châtiment
attend le Dr Céline pour avoir accompli tous ces crimes.
Il n'est pas de Joachim du Bellay pour le mener voir le
pape Clément VII. On ne lui accordera aucune absolution.
La démocratie bourgeoise a supprimé les libertés
d'exception dont jouissaient la pensée et les actes de
la pensée. A moins que quelque prébende n'essaie de le
faire taire, mais le Voyage au bout de la nuit
est un livre qui ne se taira plus.
(L'homme malade de civilisation, les critiques de
notre temps et Céline, Garnier, 1976)
*
Elsa TRIOLET,
de son vrai nom Elsa Kagan (écrivaine, compagne de Louis
Aragon, 1896-1970) : " Madame, / Je me permets de vous
écrire parce que je ne reçois
aucune
réponse, de nulle part, à une question que j'ai posée à
Paris et à Moscou : ce qu'a pu devenir votre traduction
en russe du Voyage au bout de la nuit. Je ne
voudrais pas vous importuner, mais vous excuserez
peut-être cette petite curiosité d'auteur, enfoui sous
tellement d'évènements et trente années, ou presque, de
silence. / Veuillez croire Madame à mes sentiments très
respectueux. / L.-F. Céline. "
(Lettres à Elsa Triolet, 29 sept. 1960, La Pléiade 2010).
*
" Daredare je saute sur une
feuille... une lettre à Mme
TRIOLET
!... bien courtoisement j'ose... je lui demande si des
fois depuis 34 elle n'a pas entendu parler de sa
traduction ? et j'attends... quinze jours... deux
mois... un an... rien !... Mme Elsa boude... "
(Rigodon, p. 840).
*
" Le 26 mars 1933, Elsa TRIOLET
écrit à sa sœur Lili Brik au sujet de sa traduction en
cours de Voyage au bout de la nuit : " Sur 630
pages, j'en ai traduit 175. C'est bien peu. Je traduis
en condensant au passage. Le roman est remarquable. "
Céline dira : " Ils m'expliquèrent qu'ils coupaient
beaucoup de passages et en arrangeaient beaucoup
d'autres, pour adapter l'ouvrage à la mentalité du
lecteur soviétique. Je ne pouvais exercer aucun
contrôle. "
Elsa TRIOLET avouera tardivement : " On me
rédigeait mon texte, comme c'est l'habitude en Union
Soviétique. On coupait dedans sans consulter ni l'auteur
ni le traducteur. Cela rendait le travail détestable,
affolant, impossible. "
(Nouvel Observateur, juin 1970, n° 293).
*
Gonzague TRUC
(critique littéraire, essayiste,
biographe 1877-1977): Je ne me donne pas le ridicule de
vouloir découvrir en M. Céline un père de l'Eglise. Je
m'étonne cependant à voir jusqu'où il conduit et mes
délicatesses, mes refus, mes révoltes sont bien près de
se taire devant l'approbation, l'admiration, le respect
où il me force à consentir. (...) Il a fait entendre
contre l'effarante et abominable imbécilité où s'abîme
le monde le cri nécessaire et averti du suprême danger
qui menace toute civilisation. Il n'a pas craint pour
cela de se dresser contre des forces qui ne
pardonnent point, et s'il a connu un succès de scandale,
il peut voir que c'est par le scandale aussi qu'on tente
d'organiser son insuccès.
Il faut donc saluer son courage. Il faut davantage et
savoir trouver en des livres forcenés la sagesse et la
beauté qui s'y cachent, et dans ce même délire, presque
sacré, des vues divinatoires où n'atteint pas le bon
sens ; il faut sentir à travers ces immondices fumants,
le souffle salubre des mers. Car à côté d'un Gide, par
exemple, si net, si clair, si lucide, si impurement pur,
un Céline, avec son tumulte, ses vociférations et ses
monstres, quel torrent de santé !...
(L'art et la passion de M. Ferdinand Céline, Les
critiques de notre temps et Céline, Garnier, 1976)
*
Tristan TZARA (de son
vrai nom Samuel Rosenstock dit Tristan TZARA,
écrivain, poète et fondateur du mouvement surréaliste
Dada, 1896-1963) : " Quand j'ai lu le Voyage au bout
de la nuit, j'ai été fasciné par ce personnage qui
inventait un langage. Je l'ai rencontré chez Denoël :
c'était un homme déchaîné. "
(Anonyme, Que dites-vous de Céline ? Tristan Tzara,
Le Nouveau Candide, 6-13 juillet 1961).
*
John UPDIKE
(romancier, poète, essayiste américain, 1932-2009): "
Longtemps avant Vol au dessus d'un nid de coucou,
il a vu dans les malades mentaux une sorte de société
supérieure. Avant Wiliam Burroughs, il a pressenti
derrière l'équipement électronique de l'époque moderne
un ennemi. (...) Avant Kerouac et les Beatniks, il a
perçu qu'un bon monologue suffisamment étendu suffit à
faire un roman.
(...)
Un narrateur à la première personne est un survivant, ou
bien il ne serait pas là à écrire. Ce petit fait
technique change le sens de la mort que Céline évoque
ostensiblement et nuance de frivolité le genre du roman
autobiographique dont il est le saint patron. "
(New Yorker, 13 septembre 1976, dans Spécial Céline
n°8, E. Mazet).
* VACHER de
LAPOUGE
(le comte
Georges
VACHER de LAPOUGE,
anthropologue, magistrat, théoricien de l'eugénisme
1854-1936) : " Question biographie si j'étais obligé de
m'y mettre je choisirais VACHER de LAPOUGE ce me
serait l'occasion de me renseigner moi-même et d'un !
mystérieux homme ! pourtant il semble procureur général
à Poitiers vers 1880... bien en évidence donc ! ses
livres sont à la Bibliothèque Nationale mais lui-même ne
figure dans aucun dictionnaire ! "
(A Roger Nimier, 9 mai 1959, Lettres Pléiade,2009).
*
Roger VAILLANT
(écrivain, essayiste, grand
reporter et scénariste, 1907-1965) : " Les succès
littéraires d'un
VAILLANT, en cette époque de médiocrité,
d'intrigues
et de bluff doivent nous laisser indifférents. Ils ne
peuvent servir tout au plus qu'à marquer dans le temps
notre décadence littéraire. Vous restez un des derniers
" grands " écrivains et l'un des derniers
individualistes en même temps qu'un homme propre et
courageux auquel je suis heureux de rendre hommage. "
(Lettre envoyée par Chamfleury Robert à Céline
reproduite dans Le Petit Crapouillot de juin 1958).
* Roger VAILLANT, dans
Drôle de jeu, avait inventé , romancé des faits de "
résistance " qui se seraient déroulés dans l'appartement
de Chamfleury... qu'un seul étage séparait de celui de
Céline au 5 de la rue Girardon. " Tout le reste est à
l'avenant : imagination, délire, bouffonnades, sous
l'aspect de vraisemblance qu'il croit donner par le luxe
et la précision des détails. Le fond de cette histoire
fanfaronne est tout simple : Céline a du talent,
VAILLANT en est jalousement ulcéré jusqu'à rêver
d'estourbir ce prestigieux rival, autant que " traître
dangereux " . N'ayant point lui-même le triste courage
de l'assassiner, il lui reste celui de l'accuser d'avoir
dénoncé les résistants du 5 de la rue Girardon... "
(Robert Chamfleury, L'Herne, p.55, 1968).
* Sandra VANBREMEERSCH
(Auteur de La Dame couchée. Au
Moulin de la Galette à Paris 18e, elle reçoit le Prix
d'une vie, décerné par Le Parisien Week-end,
qui
récompense des livres retraçant de grands destins.
C'était émouvant de voir cette femme de 49 ans rendre
hommage à Lucette Destouches, ancienne danseuse, épouse
de l'écrivain Louis-Ferdinand Céline. Pendant dix-neuf
ans, l'autrice a monté la route des Gardes à Meudon,
dans les Hauts-de-Seine, où le couple s'était installé
après son exil au Danemark. Elle a accompagné la veuve
comme assistante de vie jusqu'à son dernier souffle, le
8 novembre 2019, à l'âge de 107 ans.
De cette expérience, elle a
fait un premier roman très puissant. Elle raconte la
cour de gens qui se pressent auprès de la veuve pour
toucher au mythe Céline, sa maison imprégnée d'odeurs,
les sépultures des animaux tant aimés du couple et
l'intimité de cette femme vieillissante.
(Gwénaëlle Loaëc, Le Parisien, 19 novembre 2021).
*
Pol VANDROMME
(critique, journaliste, écrivain,
essayiste, biographe, 1927-2009) : Interrogé
inévitablement lors d'un interview par son
interlocutrice qui lui
demandait s'il s'était intéressé à ces écrivains
(Brasillach, Rebatet et Drieu La Rochelle), par affinité
ou pour leur rendre la juste place qu'on leur refusait
au nom de leur comportement durant la guerre Pol
VANDROMME fut sans ambages : " Parce qu'ils étaient
des écrivains de grand talent, et même de génie dans le
cas de Céline. S'ils n'avaient été que des
collaborateurs, ils ne m'auraient intéressé d'aucune
manière. C'est leur talent qui suscitait ma curiosité, à
une époque où la critique littéraire assujettie à
l'esprit de vindicte, organisait, aux dépens de la
littérature, la conspiration du silence.
Le confort
intellectuel du temps me paraissait indigne d'un esprit
libre. Céline est un écrivain majeur du XXe siècle et Les
deux étendards de Rebatet, un des plus superbes
romans de ce temps. Point à la ligne. Ce que Céline et
Rebatet ont pu faire ne relève pas du regard d'un
critique littéraire mais de celui d'un censeur
civique... "
(Francine Ghysen Le Carnet et les Instants n°150 février-mars 2008).
*
Jean VAUTRIN
(de son vrai nom Jean Herman,
écrivain, réalisateur de cinéma, scénariste et
dialoguiste) : " J'ai voulu sortir de la petitesse de la
littérature actuelle, la langue est devenue trop
policée. Céline disait que le grand oublié de la langue
française était Rabelais. J'ai trouvé qu'il était
important de réintroduire la tradition orale pour
pallier le manque d'aventurisme. "
(La République du Centre, 26
septembre 1989).
*
Dominique VENNER
(historien, écrivain,
directeur de revue, 1935-2013) : " Cinq plumes noires
dont celle de Céline, - l'idéaliste blessé - rongé par
une lucidité effroyable, celle-là même qui lui fera
pousser ces hurlements de rage que sont les pamphlets.
Il faudra bien un jour les rééditer
et les lire pour ce qu'ils sont réellement : une révolte
totale contre la disparition biologique des Français, un
refus du déclin et l'appel lancé aux forces vitales : "
Je veux des chants et des danses... Je me sauve de
raison... Qu'ai-je à faire d'intelligence, de pertinence
? de dessein ? n'en ai point ! "
(Histoire de la Collaboration, Pygmalion, Paris 2000).
* Paul VIALAR
(1898-1996, écrivain et
romancier, prix Fémina en 1939) : " Ce qui
m'intéresse par dessus tout, c'est
d'écrire,
de dire ce que j'ai à dire, avec passion ; je ne
pourrais pas le faire autrement. J'ai mis des années à
rédiger Voyage au bout de la nuit. Il me faudra
peut-être cinq ans pour écrire le livre que j'ai
commencé. Je veux qu'il soit comme une cathédrale
gothique. On y verra des bons et des méchants, des
assassins et des maçons, pêle-mêle tout
d'abord, et puis tout s'ordonnera,
si j'en ai la force, comme dans une cathédrale. Il faut
longtemps pour penser un livre et pour l'écrire. Tenez,
Voyage au bout de la nuit a d'abord été une pièce de
théâtre. Ça s'appelait L'Eglise. Jouvet et Dullin
l'ont eu entre les mains. Ça ne devait pas être jouable.
Le roman ? Eh bien, voilà, il y a eu
cinquante mille pages, dans lesquelles j'ai rogné et
taillé ; il a été dactylographié douze fois. Mon style ?
Lorsque je l'abaisse à la familiarité et à la
grossièreté, c'est parce que je le veux ainsi. "
(Les Annales politiques et littéraires n°2421, 9
décembre 1932).
*
Alexandre VIALATTE
(romancier, chroniqueur,
traducteur de Kafka, 1901-1971): " Céline est un monstre
sacré. Il a bâti
des cathédrales de vomissure qui se mirent dans des lacs
de purin. Il n'en reste pas moins que ce sont des
cathédrales dans l'hallucination par un personnage
titanesque, oraculaire, et prophétique, clownesque et
même parfois féerique. (...) Je crois qu'il avait écrit
des choses antisémites. Mais contre qui n'avait-il pas
écrit ? Tonitrué ? Craché ? Vomi ? A commencer par les
Français. (...) Il avait prédit le cataclysme.
Oraculaire et prophétique. C'était Cassandre : c'est
pourquoi il a tant d'ennemis.
(...) Un incendiaire, inventeur d'une
musique, un " éclopé au cœur
déçu ", une " clameur de vitalité " qui sort d'une
œuvre où se bousculent tous
les démons du désespoir. "
(Dernière chronique pour La Montagne, dans Spécial Céline n°8, E.
Mazet).
* Quoi de plus décourageant,
objectivement, que Céline ? Quoi de plus amer que sa
vision des hommes ? Quoi de plus malodorant que ses
châteaux de bouse de vache qui se reflètent dans un flot
de purin ? Mais ils sont si monumentaux, il a fallu pour
les bâtir tant d'enthousiasme, de verve, de génie
créateur, qu'il emporte l'admiration, le rire, le
déchaînement lyrique.
D'autant plus qu'une telle amertume ne peut être le fait que d'une égale
déception, et pour être tellement déçu il faut s'être
fait des hommes une idée bien grandiose. Il faut les
avoir trop aimés.
(Considérations sur la tombe de Marie-Aimée Méraville, La Montagne, 24
sept. 1963, dans Facebook, Littérature et Poésie).
*
Boris VIAN
(écrivain, poète, chanteur et
trompettiste de jazz, 1920-1959) : " Boris VIAN
lisait volontiers Céline et à haute voix, plusieurs
l'attestent dont le
témoignage
est irrécusable, et qu'il était un lecteur enthousiaste
de Céline dès 1940. Il proclamait souvent : " C'est
comme ça qu'on doit écrire ". Et cependant Boris VIAN
n'a pas écrit " comme ça ". Il va jusqu'à se défendre de
subir l'influence de Céline, mais il ne nie pas, ou du
moins il s'avoue à lui-même dans cette note intime du 11
novembre 1951, que les méthodes céliniennes d'écriture
l'aident ; qu'elles sont - si l'on veut - sous-jacentes
à son expression propre.
* Jean VIGNAUX
(né Albessart, écrivain, critique,
1924-2011): " Pour une certaine gauche, Céline demeure
le " salaud " dont il faudrait brûler les livres. Par
soucis de salubrité publique. "
Sans qu'il y ait contradiction avec le désir de liberté
auquel
j'aspire
dans ma profession, déclarait récemment l'éditeur Eric
Losfeld, je voudrais qu'on refuse la survie aux salauds
du type Céline, admis à l'immortalité littéraire, en
vertu d'une
œuvre paraît-il géniale. "
(...) Ramassant ses arguments n'importe où, utilisant
n'importe comment des statistiques douteuses,
ressuscitant les arguments qui avaient traîné dans les
pires feuilles racistes au moment de l'affaire Dreyfus,
Céline s'enfonça avec délectation dans la polémique la
plus venimeuse. (...) " Aucune différence, je le
déclare, entre la paix juive et la paix allemande... Et
je préfère la paix allemande n'importe quand.
L'occupation Blum, en fin de compte, plus hypocrite,
plus larvaire, est plus dégradante, certainement que
l'aurait été pour nous l'occupation Falkeinhayn. "
Oui, il fut un antisémite virulent.
Comme il fut antimarxiste, antiroyaliste, anti-armée,
anti-Gide, anti-Duhamel, anti-Mallarmé, anti-Bergson,
anti-Colette, impitoyable. Je sais que ses pamphlets ont
alimenté le racisme des futurs petits gauleiters locaux.
Je sais que son talent a servi de caution à tous les
plumitifs de la collaboration.
Mais il reste le prodigieux spectacle d'un homme seul, le
dernier individualiste peut-être de notre temps,
anachronique, hargneux, toujours misanthrope parce qu'il
craignait de trop aimer, aigri, malade et vivant sa
pensée, ne vivant que pour elle, par elle. Un homme qui
ne se trahit pas, c'est rare. "
(Pourquoi pas, 6 mars 1969, Spécial Céline n°8, E. Mazet).
* VILLON
: - Céline : " Il est capable... C'est
notre Shakespeare,
s'pas... (...) Ce qu'est dégoûtant, c'est les gens qui
s'attachent à VILLON
Alors, n'est-ce pas, ils languissent dans les
périodes... Oh ! y sont dégueulasses, alors... Y vous
dégoûteraient de VILLON
pour toujours, les récitateurs de VILLON n'est-ce
pas... Oh ! lala... C'est une catastrophe... / - (Nous
lui demandons s'il tient VILLON pour un poète au
rythme vif.)
- Céline : " Ben, y a mieux que ça
... Y a de la trouvaille, chez lui. Y a de la trouvaille
profonde, un mystère, comme le mystère Chopin, n'est-ce
pas... Mais alors, lui, pas du tout dans le genre
Chopin... Y a un mystère... Y a un côté mystérieux,
enfin... Y ramène tout d'un coup, n'est-ce pas, des
mélancolies qui viennent de loin... Qui sont bien
au-dessus, au fond, de la nature humaine, qui n'a pas
cette qualité-là, n'est-ce pas... Et, il les fait venir
en surface... C'est un... un médium, d'une certaine
façon... Il est médium... (Très animé.) Oh ! mais,
gardez-moi des récitateurs, alors... Oh ! nom de Dieu,
n'est-ce pas... (Singeant.) Oh ! vi, c'est bô, alors...
(Normal, c'est-à-dire furieux et résigné.) Ça
devient une réflexion... On attend les choses à venir,
et pis c'est tout, quoi... Les admirateurs ne sont pas
discrets, vous savez... C'est ça qu'est embêtant... Y
sont emmerdants... Y sont pas discrets... Y sont
grossiers... Alors... Alors... Y sont faisandés... Y
sont pourris, n'est-ce pas... "
(Interview du 6 février 1960, Jean Guenot et Jacques
Darribehaude).
* Louise de
VILMORIN
(écrivain, amie de Saint-Exupéry
et de Malraux) : " (...) C'est
Louise de VILMORIN
qui dit en 1969 à François Truffaut : "
Céline c'est grand, c'est courageux, c'est audacieux,
c'est compromettant. "
Il est aussi compromettant de le dire :
si on aime Céline, on aime tout Céline. "
(Stéphane Denis, Le Figaro Magazine, 23 oct.2004).
*
Frédéric VITOUX
(écrivain, biographe et académicien en 2001) : " ...
Louis arrivait seul à l'étranger avec un traitement
mensuel de 1000 francs suisses pour débuter et un titre
ronflant de " médecin de la Section d'hygiène Classe B
". Il se retrouve face à la S.D.N. face au Pouvoir, face
à la Vie Internationale, face à toutes les majuscules
possibles. Son ambition peu contestable, sa volonté, ses
espoirs, son goût de l'inconnu allaient sans nul doute y
trouver leur compte.
Mieux, Ludwik Rajchman, son patron,
ne lui avait-il promis pour bientôt des missions à
l'étranger, vers l'Amérique, ce vieux rêve lointain ?
Oui, la Suisse était belle en cet été 24 (...)
... où il faut imaginer un médecin
français de trente et un ans, saccadé, bruyant, acharné
à lire de nouveaux livres, à poursuivre de nouvelles et
inutiles conquêtes féminines, à brocarder les
fonctionnaires trop abstraits de la trop gigantesque
Société des Nations et, qui voulait laisser sa marque,
creuser un profond et douloureux sillage sur l'époque
qu'il avait encore à traverser. "
*
L'anecdote est inédite. Je la
dois à l'un des participants de ce déjeuner, qui par la
suite fit une brillante carrière dans l'édition
française. Autour de Drieu la Rochelle et de sa compagne
du moment étaient réunis ce jour-là à table, en décembre
1943, sous l'Occupation, quelques amis et relations,
dont Céline (qui s'était laissé pousser alors une petite
barbiche, en raison d'une blessure au menton qui
l'empêchait de se raser) et Otto Abetz, l' " ambassadeur
" de l'Allemagne hitlérienne à Paris (impeccablement
vêtu d'un costume de tweed et d'une cravate club). De
tout le repas, Céline n'ouvrit pas la bouche. Voyeur et
auditeur bougon, dans son coin. Comme d'habitude. Au
dessert cependant, pointant son doigt sur Abetz et sa
belle tenue, il dit avec un drôle de sourire : " Ah ! Ah
! Abetz ! Prudent ! Prévoyant ! British, british ! " Un
ange passa sur l'assemblée. Sans s'émouvoir, Céline
reprit, se désignant cette fois et caressant sa
provisoire barbichette : " Mais moi, Abetz, plus
prévoyant encore ! Moujik, moujik ! "
(Le Nouvel Observateur, 21-27 mai 1994, BC n°142, juillet 1994)
* VOLTAIRE
(François-Marie Arouet, écrivain et
philosophe, 1694-1778) : " Ce qui les rapproche
intimement, ce ne sont pas tant leurs épreuves
communes : VOLTAIRE embastillé, Céline
emprisonné, tous les deux exilés, que la manière dont
ils les ont surmontées. - " on ne peut guère lire
l'histoire sans concevoir de l'horreur pour le genre
humain. " - C'est l'historien VOLTAIRE qui parle
; mais les hommes de son époque - il en témoigne assez -
sont tout aussi abominables.
Et le chroniqueur Céline, aux prises avec ses
contemporains, pourra dire la même chose. N'empêche que,
pessimistes en général, ils restent optimistes en
particulier. Il y aura toujours un individu, sinon pour
sauver le monde, du moins pour s'en sortir. Et c'est
Candide, ou l'Ingénu, ou Bardamu, ou Ferdinand... "
(Marc Hanrez, L'Infini, printemps 1989).
* Kenneth WHITE
(poète et penseur Ecossais): " Si je me
sens des affinités avec Céline, seraient-elles, comme
le diraient certains, " celtiques " ? Il serait possible
de dresser une petite liste de traits de caractère et de
tendances qui pourraient se ranger dans cette catégorie.
D'abord, une volonté, ou plutôt non, rien d'aussi
conscient qu'une volonté, plutôt un instinct qui le
porte à ne pas s'intégrer, à rester en dehors.
Ensuite, c'est un mouvement
rapide à travers l'espace, celui des Celto-Scythes sur
les steppes de l'Asie centrale, et qui se traduit chez
Céline par des déambulations obsessives à Paris, le
voyage au Cameroun, la traversée de l'Amérique. Et puis
il y a le style, le langage, la musique. A travers toute
la littérature celtique, on trouve cette recherche,
cette écoute d'une musique lointaine. Elle est présente
dans la plus ancienne littérature gaélique, elle est là
dans la prose de Stevenson. "
(Les affinités extrêmes, Albin Michel, 2009).
* Michel WINOCK
(historien): " Le massacre auquel le
livre de Céline, Bagatelles pour un massacre
faisait allusion était celui des Français livrés par les
juifs aux horreurs d'un nouveau 14-18. Les liens du
pacifisme et de l'antisémitisme ne cessèrent d'être
évidents dans les écrits non romanesques de Céline.
Ses bagatelles,
dira-t-il, étaient un acte de paix, un barrage au niveau
carnage, et, en ce sens, il restait fidèle au héros du
Voyage, Bardamu. Seuls les juifs, persécutés par
Hitler, pouvaient vouloir la guerre : Une guerre pour la
joie des Juifs ! "
(La France et les juifs de 1789 à nos jours, Le Seuil, 2004, dans BC
n°265).
*
Nelly WOLF
(Maître de conférences à l'Université de Lille III) : "
Le style imprime au texte la marque de l'auteur et la
trace d'une subjectivité profonde. Il entretient par
ailleurs avec la pensée, ou les pensées du roman une
relation intime, dont
l'analyse littéraire se charge de préciser le degré
(rapports du fond et de la forme, du style et du
contenu...) En effet, pour procéder à la littérature,
l'écrit doit aussi, deuxième point, se prévaloir d'une
vision du monde. Le Voyage au bout de la nuit
engage ses idées, ses pensées, son interprétation des
choses et de la vie dans ses passages déclaratifs, "
dissertatifs ", universalisants dont l'existence a été
mentionnée ici.
" La
vérité de ce monde, c'est la mort. Il faut choisir,
mourir ou mentir. " " L'âme c'est la vanité et le
plaisir du corps tant qu'il est bien portant. " " Quand
on n'a pas d'argent à offrir aux pauvres, il vaut mieux
se taire. " " C'est pas la peine de se débattre,
attendre ça suffit, puisque tout doit finir par y passer
dans la rue. Elle seule compte au fond " : par ces
interventions, le roman prend un sens, donne un sens à
cette réalité, à ce monde, à cette vie qu'en d'autres
énoncés il avait tout simplement, tout bêtement décrits.
"
(Le peuple dans le roman français de Zola à Céline, PUF, 1990, p.253).
* Paul YONNET
(sociologue, essayiste, 1948-2011): " Céline a
annoncé l'avènement de l'individu souffrant et le règne
du faux. Il
se serait sans doute repu du règne de la publicité, où
toutes les photos sont retouchées. Ou de ces techniques
chirurgicales destinées à tromper sur son âge et que
l'on a le culot de baptiser " esthétiques ".
Très cultivé,
il aurait sans doute aussi été frappé par la crise d'une
culture du livre dans laquelle il était encore immergé.
Mais, si Céline reste d'actualité, c'est que la question
centrale de son œuvre, " Comment vient, comment
reviendra la guerre ? ", est une question d'actualité. "
(La Nouvelle Revue d'Histoire n° 45, nov-déc. 2009).
*
Stéphane
ZAGDANSKI (romancier et essayiste) : " Je considère que Céline est
un écrivain phosphorescent. Mais de lui on n'a retenu
que ses pamphlets antisémites. Pourtant autour, ce qu'il
dit est original. Mais son antisémitisme a complètement
occulté le reste de sa pensée que personne ne veut plus
savoir. Il porte un regard d'une acuité unique sur
l'évolution de la France de son époque.
A mes yeux il est
celui qui l'a fait de la manière la plus éblouissante.
Sa poétique est celle du délire. Mais antisémite il a
sombré dans le délire antisémite. Parce qu'il vivait une
époque de délire collectif. "
(Le Maine libre, 13
octobre 1997).
*
Nicole
ZAND
(critique littéraire au Monde): " Pour moi, les
pires antisémites ne sont pas ceux qui, comme Céline,
crachent leur haine du juif... Je n'ai pas plus de
dégoût en lisant Céline qu'en lisant Guyotat par
exemple. Je n'arrive pas, en fait, à savoir vraiment si
Céline était le pire des antisémites. J'estime que
Céline est un des plus grands et des plus importants
écrivains du XXe siècle.
Son action n'a pas été antisémite et c'est un texte
tellement excessif, au XXe siècle, qu'il en devient une
curiosité, un peu comme les lectures érotiques. Qui
irait penser que Miller, dans Sexus, écrit une
autobiographie ? "
(Information juive, février 1987, Spécial Céline
n°8, E. Mazet).
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